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Raindorf, Aaron (dit René) - [Témoignage sur Breendonk, Mechelen, Auschwitz et Mauthausen] in, Renard, Frédéric - Les rescapés belges d'Auschwitz ayant transité par Breendonk, Bruxelles, 1990, p. 21-36

Section 2. Raindorf Aaron

1. Présentation

- Nom: RAINDORF
- Prénom: Aaron dit René
- Né à Saint-Gilles le 22 décembre 1918.
- Frère de Maurice Raindorf, décapité à la hache le 19 mars 1943 à Cologne.
- Arrêté à Saint-Gilles le 19 juillet 1943.
- Conduit à Breendonk le jour même. Il séjourna 8 mois au cachot, dans la cellule 22.
- Poids à l'arrivée: 78 kilogrammes.
- Transféré à Malines le 9 mars 1944.
- Poids à l'arrivée: 58 kilogrammes.
- En 26 jours de séjour à la caserne Dossin, il reprend 11 kilogrammes.
- 4 avril 1944: départ de Malines à destination d'Auschwitz par le XXI Ve convoi qui comprend 625 déportés dont 62
enfants.
- 7 avril 1944: à l'arrivée à Auschwitz, 206 matricules seront attribués aux hommes seulement. 357 déportés ne laissent pas de trace dans les archives des camps. A la libération, 147 personnes survivront.
- Enregistré à Auschwitz sous le numéro 179863.
- Janvier 1945: évacuation vers Mauthausen.
- 5 mai 1945: libéré de Mauthausen par les troupes américaines .
- Poids à la libération: 39 kilogrammes.

Dans la suite de ce chapitre, monsieur Raindorf  René sera mentionné sous les initiales R.R.

Dès 1938, R.R. travaille comme fonctionnaire au Ministère de la Santé Publique. Le général Alexander von Falkenhausen,  commandant mi militaire en Belgique décrète le statut des Juifs à partir du 28 octobre 1940. L 'administration prend les mesures d'application et suite à cela, R.R. perd son emploi le 31 décembre 1940. On lui octroie alors un an de traitement. Dès 1941, étant bon mathématicien, il devient comptable de bookmakers sur les champs de courses. Son travail consiste à inscrire les paris sur les registres.

A la même époque, il falsifie les bons de ravitaillement en textiles, c'est-à-dire qu'il modifie le nombre de points; cela lui permet de les revendre plus cher au marché noir et d'acheter en contrepartie des timbres d'alimentation pour des amis de la résistance.

R.R. sert également d'intermédiaire entre le Front de l'Indépendance et les Jeunesses.

 

2. Arrestation

R.R. est arrêté par la GFP (Geheime Feld Polizei) à son domicile - à Saint-Gilles - le 19 juillet 1943 vers six heures du matin. Il est soupçonné d'être le sous-chef d'une bande de terroristes. Il a appris plus tard qu'il avait été dénoncé par le comte Pierre Romanovitch, provocateur à la solde de plusieurs polices allemandes.

Afin de comprendre les raisons de 1'arrestation de R.R., il me semble nécessaire de retracer certaines étapes et de décrire les éléments ayant amené Romanovitch à croire que R.R. était un terroriste.

Le 19 avril 1943, Georges Livschitz - un étudiant juif en médecine - organise l'attaque du XXe convoi, un convoi de déportés juifs à destination d'Auschwitz.

L'échec relatif de cette tentative est imputable à la dénonciation de Romanovitch, introduit auprès de Livschitz par son amie Malka Cymring..

Le 15 mai 1943, livré par Romanovitch, Georges Livschitz est arrêté. Néanmoins, il réussit à s'échapper de sa cellule en blessant son gardien. A ce moment, il ne réalise pas encore le rôle que le comte russe joue dans son entourage et entre en contact avec lui. Lors de son évasion, Livschitz trouve refuge chez les Mondo.

Arrêté pour vol, Romanovitch passe trois jours à la prison de Saint-Gilles, du 17 au 20 juin 1943.

Le 26 juin, Livschitz est arrêté lors de son départ pour l'Angleterre. Dès lors, talonnés par les services policiers allemands, Romanovitch et ses acolytes se lancent sur  la trace des résistants avec qui Georges Livschitz a été en contact. Les arrestations se succèdent et la famille Mondo est également incarcérée.

Connaissant Romanovitch de nom et ne sachant pas le double jeu qu'il joue, R.R. le contacte et lui demande s'il n'est pas au courant de ce qu'il est advenu de Jacqueline Mondo - fiancée d'un de ses amis -. Malheureusement pour lui, en agissant de la sorte, R.R. se compromet, vu le rôle joué par Romanovitch dans l'internement de celle-ci. Romanovitch dénonce alors R.R. comme terroriste et provoque son arrestation.

R.R. fut d'abord emmené dans les caves de l'immeuble de la GFP , situé au 6 de la rue Traversière, et ensuite transféré au troisième étage du 347 avenue Louise. Il s'agissait de la section juive de la Sicherheitspolizei.

Il y fut interrogé, gardé, réinterrogé, et devant son ahurissement honnête, les autorités décidèrent de son envoi à Breendonk. Là, lui dirent-el1es, ... tu parleras! Vers 16 heures 30, il embarqua dans une voiture ...

Il s'avère que Romanovitch s'est révélé être un voleur de bijoux et de devises au détriment de la Gestapo , et qu'il est mort déporté à Buchenwald à 1 'époque où R.R. séjournait au cachot à Breendonk.

 

3. Breendonk

Vers 17 heures 30, R.R. arriva à Breendonk, escorté par deux agents de la Gestapo qui l'amenèrent chez 1'untersturmfuhrer Prauss. Ce fut également l'occasion pour lui de faire connaissance avec le SS De Saffel. La brutalité fut de circonstance pour le mettre dans l'ambiance.

La soupe ayant déjà été distribuée, R.R. reçut un bout de pain et fut placé au cachot, cellule 22, où il resta enfermé 8 mois. La vie de Breendonk fut donc très limitée, R.R. n'ayant pas joui des bienfaits de la promenade, du travail, de la cour. Il est resté au secret dans une cellule individuelle où le détenu devait se tenir debout en permanence .

Au bout de 8 mois d'instruction et d'interrogatoires, son dossier restant vide, les autorités de Breendonk déclarèrent R.R. innocent et décidèrent de le libérer. Mais comme il était juif, la Sicherheitspolizei de Bruxelles opta pour son transfert â ses collègues de la Gestapo juive de Malines. Sachant ce que Malines signifiait, R.R. demanda à être envoyé à la prison de Saint-Gilles. Il n'en fut pas question vu qu'on n'envoyait pas d'innocents en prison.

Le 10 février 1944, quand R.R. apprit sa libération prochaine et son envoi â Malines, il fit déposer une plainte pour faux en écritures, relative â son trafic des bons textiles. Le but de cette manoeuvre était d'éviter la caserne Dossin et la déportation, en ayant des comptes à régler avec la justice belge et en étant incarcéré à Saint-Gilles.

R.R. fit cela en écrivant à sa mère; il faut savoir que depuis deux mois, i1 entretenait des contacts avec l'extérieur grâce à une sentinelle de l'armée allemande qu'il avait convaincue de servir d'intermédiaire. Ces deux mois furent inoubliables. R.R. a d'ailleurs déclaré â ce sujet:

"Ce sont les deux plus beaux mois de ma vie. Il n'est pas posible d'avoir dans n'importe  quel moment de la vie une jouissance aussi extraordinaire que celle de vers de terre dans un cachot de Breendonk, et de corres-
pondre avec sa mère, avec la résistance; de manger une tartine avec une omelette faite par sa mère; d' envoyer trente pages à Bruxelles le jour où j'apprends que je vais être transféré à la Caserne Dossin pour dire à ma mère d'intervenir auprès du directeur au Ministère et auprès de la Chapelle Musicale de la Reine Elisabeth".

a. Qui était envoyé à Breendonk en 1943?

Juillet 1943 est la pleine époque où l'on incarcère principalement des prisonniers politiques. A ce moment s'y trouvent les trois quarts du Comité Central du Parti Communiste.

Comme dans tous les camps, l'organisation intérieure reposait sur l'utilisation intensive des détenus. Certains d'entre eux, les Zugfûhrer, commandaient d'autres détenus. Aussi est-ce parmi les Zugfûhrer que l'on trouve le meilleur et le pire. Il y a eu parmi eux de véritables héros protégeant leurs camarades et mettant leur ingéniosité au service des plus malheureux. Mais c'est parmi eux aussi qu'on a trouvé quelques criminels qui ont été jugés après la guerre en compagnie des SS. A ce propos R.R. a déclaré:

"Vous savez, les SS étaient pas des hommes differents des autres. C'étainent des êtres humains rendus inhumains. Nous sommes tous capables d'êtres des SS dans certains conditions."