Les Enfants des Partisans juifs de Belgique, Partisans armés Juifs,
38 témoignages, Bruxelles, 1991, Préface de Marek Halter

Lola Bryftreger-Rabinowicz GvdB 251

Je suis née à Radom en Pologne, le 5 mars 1917, dans une famille de commerçants fort religieuse. J'ai terminé l'école publique à quatorze ans. J'ai suivi des cours du soir après la guerre. A quinze ans, j'étais apprentie couturière. Aussi, je me suis affiliée aux Jeunesses Communistes. Comme j'étais très active comme courrière, la police me recherchait. Il était temps de me sauver.

Je suis partie illégalement en France où j'ai vécu deux ans de 1936 à 1938. Ensuite, j'ai été expulsée et je suis arrivée en Belgique également en fraude.

En juin 1939, j'ai épousé Leibke Rabinowicz. Après avoir été mise en contact avec le Parti Communiste, je me suis occupée d'enfants.

Le 10 mai 1940, la guerre éclatait en Belgique, nous sommes partis dans le midi de la France. Nous avons formé des groupes pour discuter de la situation et à la fin, nous avons décidé de retourner en Belgique.

Le travail avec le Parti a commencé: distribution de journaux, réunions, tout clandestinement. Fin 41, Leibke devenait membre des Partisans, recruté par Jacob Gutfrajnd; moi, j'étais enceinte d'une fille qui est née le 3 mai 1942. J'ai poursuivi le travail illégal en ayant toujours près de moi l'enfant dans sa voiture.

Quand les Allemands se sont attaqués aux Juifs, il a fallu cacher l'enfant. Après beaucoup de recherches, nous avons trouvé une famille belge qui a accepté de s'occuper d'elle. Elle n'avait que trois mois. Nous, nous sommes allés vivre avec des copains belges, Partisans aussi. Leibke a continué d'être actif chez les Partisans et moi, de placer des enfants juifs chez des familles belges, dans le Front de l'Indépendance. Entretemps, j'ai aussi aidé Leibke à transporter des armes et du matériel.

Je n'oublierai jamais sa première action. Il a abattu un Allemand de la Gestapo. Il a eu une crise de nerfs. Pas moyen de le calmer: il avait tué un homme. Par la suite, il a pris part à plusieurs autres actions. La dernière lui a été fatale. Il avait défendu son commandant Jacob Gutfrajnd à l'hôpital d'Etterbeek; ils ont été blessés tous deux, mais lui mortellement, quinze jours avant le premier anniversaire de sa fille.

Tout de suite après sa mort, je me suis engagée dans l'Armée Belge des Partisans, au service des renseignements. Pendant quelques semaines, j'ai filé des traîtres, des collaborateurs, etc.

Le 4 juin 1943, Sarah Goldberg, Henri Wajnberg et moi étions arrêtés ensemble par la Gestapo. Nous avions peur que les Allemands ne viennent vider l'appartement et trouvent des armes, des journaux, une machine à écrire. Par miracle, nous avons réussi à faire savoir que nous avions laissé du «linge sale». Les Partisans ont immédiatement mené une action (qui n'était pas facile) pour «nettoyer l'appartement».

A Malines, nous avons formé des groupes avec de nouveaux arrivés. Sara Gutfrajnd, Dora Rabinowicz, Abel Milnowiccky, Max Wulfowicz, Léon Waksman et d'autres. Nous avons aussi eu un contact avec Giza Weissblum qui sortait du cachot. Elle était dans un état horrible. Elle avait été battue par les gestapistes, la figure et les mains étaient toutes déformées. Elle n'était plus capable de se laver ni de se nourrir, nous l'avons aidée le mieux possible.

Nous étions prêts à sauter du train qui nous transportait en déportation, ayant reçu de l'aide de l'extérieur. Hélas, après le XXème convoi, les Allemands étaient mieux préparés. Pas moyen de bouger, ils étaient partout.

Apres un long voyage dans les wagons à bestiaux, nous sommes arrivés enfin au «paradis» d'Auschwitz. Il est inutile de rappeler les conditions du camp. Par hasard, Giza a reconnu sa cousine Mala Zimetbaum, grâce à qui nous sommes encore en vie. Il est difficile de décrire les sacrifices de Giza dans une situation pareille. Elle ne pensait pas à elle-même, mais d'abord à nous toutes.

Petit à petit, après un certain temps, nous étions un peu mieux habillées et cela comptait beaucoup au camp. Par la suite, Mala nous a toutes placées dans un commando à l'intérieur.

Plus tard, j'ai rencontré un ancien ami de France, Solomon, un électricien qui venait travailler au camp de Birkenau. Par lui, nous avons été mises en rapport avec les Françaises et d'autres. L'activité de la Résistance a commencé. Nous avons appris à «organiser» (voler) et partager tout avec le groupe. Nous avons aussi été aidées par les quatre courriers (traductrices) Mala, Sala, Lea et Herta que nous avons organisées. Ensuite, d'autres filles sont arrivées, Adèle, Ida, Guta, ... avec qui nous étions en contact malgré qu'elles étaient dans des camps fort éloignés du nôtre.

Quant aux filles qui travaillaient dans les usines à munitions, elles nous ont fourni des explosifs. Personnellement, j'avais la responsabilité de cacher une bouteille - elle était indispensable pour soutenir les préparatifs de révolte du Sonderkommando (1). Ce n'était pas facile de la cacher dans les conditions du camp. Voilà qu'en plus, les Allemands effectuaient une fouille systématique des "bloks» à l'occasion de la pendaison de quatre filles de l'Union (nom de la fabrique de munitions) qui avaient été dénoncées - toutes les prisonnières ont dû assister au spectacle.

Ne sachant quoi faire, j'ai jeté la bouteille dans l'égout. Mais après, comment la sortir? C'était fort risqué. La nuit, Sarah Goldberg étant de garde, nous avons réussi à la récupérer avec un grand seau, après quelques heures de travail.

A la fin de l'année 44 les Allemands ont évacué le camp de Birkenau à Auschwtz. Quelques-unes sont restées: moi avec deux autres filles. Cyporka (de Paris) et Olga (.une Russe). Nous étions désignées par la Résistance pour couper les fils de fer barbelés afin que les gens du Sonderkommando puissent s'évader. Malheureusement, nous n'avons pas eu la moindre occasion d'intervenir car la révolte a échoué.

Comme l'Armée Rouge progressait, en janvier, nous avons été évacuées d'Auschwitz. Nous avons marché presque une semaine sans manger ni dormir, dans le froid. Enfin, nous sommes arrivées à Ravensbrück. Pendant tout ce temps, nous nous serrions toujours les coudes. Au bout de quelques semaines, ils nous ont encore mises dans un train et envoyées a Malchow; nous avons été séparées, seulement la moitié du groupe est parvenue a cette destination, nous étions sans nouvelles des autres. La guerre se terminant, les Allemands ne savaient pas quoi faire avec les prisonniers; ils nous ont une fois de plus mises en route, pour Leipzig. Nous avons encore marché pendant quinze jours. Les Allemands étaient encerclés de tous les côtés.

Epuisée, manquant de nourriture, j'ai pris le risque de m'évader. Je suis restée quelques jours dans les bois, affamée, dans le froid: j'ai alors rencontré des prisonniers de guerre français. Ils m'ont emmenée dans une ferme allemande ou ils travaillaient. Après deux ans de disette, j'ai mangé sans réfléchir et  il s'en est fallu de peu que je meure. Grâce aux prisonniers qui m'ont sauvé la vie, j ai pu revenir à Bruxelles le 15 mai 1945, parmi les premiers rescapés.

(1)